Jeudi dernier, le Gouvernement bruxellois sortait, par la voix de sa Secrétaire d’état au logement, Nawal Ben Hamou, une série de mesures visant à soutenir les locataires frappés de plein fouet par le confinement. La réaction politique porte sur le paiement du loyer, les préavis et fins de bail et sur la situation singulière des étudiant.e.s confiné.e.s chez leurs parents.
Concrètement, le Gouvernement prévoit :
- Une prime pour aider les locataires du marché privé en difficulté à payer le loyer, du fait de la diminution de leurs revenus pendant le confinement. Les contours de cette prime ne sont pas connus à ce jour ;
- Le gel des préavis avec prise d’effet au 16 mars et poursuivi jusqu’à la fin des mesures de maintien à domicile ;
- Une réduction des délais de préavis à un mois seulement pour les baux étudiants (au lieu de 2 mois) et les baux de courte durée liés à un logement étudiant (au lieu de 3 mois).
Nous saluons cette initiative politique, bien qu’elle intervienne très tardivement. Rappelons que les loyers d’avril ont déjà été payés et l’échéance de mai approche à grands pas, alors que la prime reste, pour l’instant, un projet non abouti. Nous estimons de surcroit que ces décisions ne vont pas assez loin et qu’elles n’anticipent pas du tout l’après confinement.
C’est là, maintenant, dans l’urgence, que les locataires ont besoin d’aide. Le principe d’une prime est validé par le Gouvernement mais tout le reste est à construire encore, sans compter que son octroi devrait passer par une administration qui risque d’alourdir les délais d’obtention. Les locataires ne peuvent pas attendre, il faut autre chose.
Nous demandons au Gouvernement d’autoriser les locataires à réduire leur loyer dès à présent, en proportion des pertes de revenus subies et cela, tant que l’obligation de rester chez soi n’est pas levée. Cette mesure exceptionnelle mais courageuse, à la hauteur de cette situation inédite, permettra déjà d’anticiper les difficultés de paiement de mai et éventuellement les suivantes et d’éviter de placer en situation fautive, celles et ceux qui n’ont pu, par la force majeure, honorer le loyer d’avril.
La prime (à concrétiser au plus vite !) servira à compenser, après coup, les loyers partiellement ou totalement impayés. Nous ne pourrons donc pas nous contenter d’une prime forfaitaire d’un montant dérisoire. Elle devra être adaptée à la situation de chacun.e, à son loyer, à la part qui n’a pu être assumée. Si les mandataires exigent de fixer un plafond d’intervention, ce qui est plus que probable, il devrait au moins atteindre deux mois de loyer. On sait en effet qu’une partie des locataires bénéficie du chômage temporaire (revenu garanti à 70%) ce qui les préserve un peu, mais d’autres travailleur.euse.s plus précaires, eux.elles, n’ont droit à rien et ont perdu toute source de revenus.
Nous lançons un appel au monde politique pour que cette aide financière soit accessible aux locataires sans titre de séjour. Nous demandons de la solidarité plutôt que de l’exclusion, en évitant les dossiers administratifs fastidieux, en acceptant que certains ne puissent rien prouver, en garantissant leur sécurité face à d’autres politiques à visée sécuritaire. Nous soutenons d’ailleurs l’appel à la régularisation des sans-papiers, à l’image du Portugal.
Pour ce qui est du financement de la prime, les propriétaires d’immeubles vides et les multipropriétaires devraient être mis à contribution. Une solution pratique et facile, mais sans doute insuffisante en termes de moyens, serait d’utiliser de l’argent qui existe déjà et qui pourrait être réorienté de manière exceptionnelle et provisoire. Nous pensons aux produits des amendes imposées aux propriétaires d’immeubles vides qui sont pour l’essentiel, ristournées aux communes. Les rentrées de l’année 2020 pourraient d’ores et déjà être mobilisées pour faire face à la précarisation des locataires confinés, sans voir le budget des communes s’effondrer.
Mais une solution plus juste socialement et symboliquement plus forte aussi, serait de lever une taxe de solidarité exceptionnelle auprès des multipropriétaires, c’est-à-dire auprès de ceux et celles qui louent plus de deux logements (excepté les bailleurs AIS) et qui, de toute évidence, ne subissent pas la crise avec les mêmes conséquences financières que leurs locataires. Le montant de la taxe pourrait être proportionnel au nombre de logements mis en location. Il nous semblerait justifié que ceux et celles qui font fructifier leur patrimoine grâce aux locataires, puissent en contrepartie, leur venir en aide en temps de crise. Nous demandons aux mandataires d’avoir le courage d’en débattre.
C’est évidemment à juste titre que le Gouvernement bruxellois — ainsi que ceux des deux autres Région d’ailleurs — a pris, assez rapidement, une mesure essentielle pour éviter que des locataires ne se retrouvent à la rue en ces temps de crise sanitaire : un moratoire sur toutes les expulsions physiques. Celui-ci devrait s’éteindre, en principe, le 3 mai prochain.
Jeudi dernier, la Secrétaire d’Etat dévoilait une deuxième mesure visant à soutenir les locataires en fin de bail : la suspension de la période de préavis, prenant effet le 16 mars, pendant toute la durée des mesures de maintien au domicile.
Ces deux mesures étaient nécessaires, compte tenu de la quasi impossibilité de recherche de logement ou de déménagement pendant la durée du confinement. Il fallait garantir le maintien des locataires dans leur logement. Cependant, il est prévu qu’elles prennent toutes deux fin avec la fin du confinement, soit probablement le 3 mai.
Nous plaidons pour un allongement de ces mesures. Pour au moins deux motifs :
- Il semble évident que le déconfinement sera progressif. Tout le monde ne pourra pas retrouver son activité — et donc son revenu plein — du jour au lendemain.
- Un engorgement des services d’aide au logement et des visites de logements — et donc une concurrence encore plus sévère pour les locataires à la recherche d’un logement abordable — est à prévoir. Pour les locataires modestes, cette recherche était déjà particulièrement longue et pénible avant la crise sanitaire et les mesures de confinement ; elle risque de l’être encore plus demain.
Pour éviter les dangers liés à la saturation du marché locatif abordable (en termes d’exclusions, discriminations ou loyers abusifs), il faut penser ces aménagements de fin de bail à plus long terme. On suggère donc une double mesure post-confinement pour permettre aux locataires de trouver un relogement :
- Étendre le moratoire sur les expulsions : il doit être prolongé de 6 mois après le 3 mai.
- Décadenasser la prorogation des contrats pour circonstances exceptionnelles.
Une fois la fin du gel des préavis et leur terme échu, nous craignons que nombre de locataires n’aient pas pu bénéficier de suffisamment de temps que pour trouver une solution de relogement acceptable, pour toutes les raisons évoquées ci-avant. Il faudra alors qu’ils puissent se prévaloir d’un sursis supplémentaire.
La prorogation est prévue par le Code du Logement, art. 250 : “lorsque le bail vient à échéance ou prend fin par l’effet d’un congé, le preneur qui justifie de circonstances exceptionnelles peut demander une prorogation. A peine de nullité, cette prorogation est demandée au bailleur par lettre recommandée à la poste, au plus tard un mois avant l’expiration du bail. A défaut d’accord entre les parties, le juge peut accorder la prorogation en tenant compte de l’intérêt des deux parties,”.
La situation de crise que nous connaissons impose que cette possibilité soit assouplie. Comment ? En aménagement les modalités prévues par le Code :
- Le bailleur ou la bailleresse ne pourrait pas s’y opposer (et le juge de paix ne devrait donc jamais intervenir).
- Elle pourrait être demandée même si le délai d’un mois est dépassé.
- Elle pourrait s’étendre sur 6 mois (soit la même durée que le moratoire sur les expulsions). Nous estimons qu’il faudra au moins ce laps de temps avant un retour “à la normale”.
La Flandre a choisi cette voie, il suffit pour le locataire d’adresser un simple email à son bailleur ou sa bailleresse pour obtenir cette prorogation[1].
Ces deux mesures, nous les soutenons pour un déconfinement progressif et pour limiter les pertes de logement en phase de post-confinement ; une phase qui risque, elle aussi, d’être très difficile pour les locataires fragilisés.
Les cours dans les amphithéâtres des universités et hautes écoles sont suspendus jusqu’à la fin de l’année académique. Nombre d’étudiant.e.s sont donc rentré.e.s chez leurs parents et n’occupent plus leur kot. Le Gouvernement a pris en compte cette circonstance particulière en réduisant les préavis. Nous saluons cette initiative mais elle ne tient pas compte de toutes les situations.
Nous identifions deux points noirs, qui méritent, eux aussi, des adaptations exceptionnelles :
- D’abord, les étudiant.e.s qui vont garder leur kot pour l’an prochain (sans l’occuper entre avril et août) et les colocations dans lesquelles une partie des colocataires restent dans le logement et l’autre l’a quitté. Dans ces situations, il faut prévoir une réduction du loyer. Il est difficilement admissible que l’étudiant.e continue de payer sa quote-part/son loyer pour un bien qu’il.elle n’occupe plus. De l’autre côté, on peut aussi imaginer que le bailleur ou la bailleresse puisse malgré tout percevoir une indemnité. Nous prônons un allègement de 50% du loyer (ou de la quote-part de l’étudiant.e en colocation). De cette manière, les efforts sont équitablement partagés entre locataire et bailleur[2].
- Ensuite, les étudiant.e.s locataires de résidences universitaires (qui sont invité.e.s à quitter les lieux le temps du confinement). Nous estimons ici que l’effort doit être entièrement supporté par les écoles. Nous plaidons donc pour une suspension totale des loyers, à l’image de la France (où les étudiant.e.s ne sont pas redevables du mois d’avril, jusqu’à présent).
Ces mesures à prendre en urgence pour éviter le pire, ne doivent pas nous faire perdre de vue l’essentiel. Les inégalités de logement étaient là, ancrées, insidieuses, bien avant la crise du coronavirus qui a joué un rôle d’amplificateur. Profitons du moment pour les combattre radicalement : refusons la marchandisation du logement, refusons l’insalubrité, les loyers arbitraires et abusifs, la privatisation du social… Nous ne sommes pas seul.e.s, nous avons à nos côtés plus de la moitié des Bruxellois.es. Exigeons plus !
Cette analyse est publiée à l’aide de subsides de la Région de Bruxelles-Capitale, Insertion par le logement et avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
[1] Ainsi, en Flandre, les propriétaires qui ont déjà conclu un contrat avec un tiers, et qui ne sont pas en mesure de mettre à disposition le bien parce que l’ancien bail est prolongé, ne peuvent donc pas remplir leurs propres obligations contractuelles et devront donc invoquer la force majeure.
[2]Nous voudrions également attirer l’attention sur le sort de l’AIS.E. qui risque d’être exposée à des frais supplémentaires (tant en termes de vide locatif, que de différentiel au niveau du loyer). Il faudra que le Gouvernement en tienne compte, en débloquant un subside exceptionnel pour les compenser, si nécessaire.