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Parmi les obstacles qui barrent l’accès au logement à de nombreux ménages bruxellois, la discrimination est probablement l’un des plus difficiles à lever. Discriminer est puni par la loi, mais en pratique, cela reste compliqué à démontrer. Les bailleurs et agents immobiliers qui discriminent jouissent d’une grande impunité. La Région bruxelloise s’est dotée, l’an dernier, d’un nouveau dispositif visant à renforcer la lutte contre la discrimination au logement et sanctionner celles et ceux qui la pratiquent par des amendes. Le bilan est décevant, aucune amende imposée… Alors même que les études visant à objectiver le phénomène en matière de logement restent très alarmantes.
Les locataires du privé sont soumis aux lois du marché et au bon vouloir des propriétaires. Les logements abordables font terriblement défaut. Dans le bas de la gamme, la demande dépasse largement l’offre. A chaque mise en location, à chaque visite d’un logement bon marché, ce sont des dizaines de candidats locataires qui se présentent. Les bailleurs disposent alors d’une grande latitude tant pour fixer le prix des biens, que pour sélectionner les locataires.
Ces dernières années, plusieurs études [1] se sont attachées à objectiver et quantifier les phénomènes discriminatoires en matière de logement. Elles montrent à quel point il est plus difficile de solliciter une visite pour louer un logement (par exemple car la discrimination opère à chaque étape de la mise en location) quand son nom a une consonance étrangère ou quand les revenus sont composés d’allocations sociales plutôt que d’un salaire. L’origine et la fortune sont les deux critères qui amènent le plus de discrimination.
Depuis 2017, une équipe de chercheurs réalise, chaque année une batterie de tests pour mesurer l’évolution des pratiques. Ce monitoring régulier ne montre pas d’amélioration marquante entre 2017 et 2019 (soit après les campagnes de sensibilisation et de formation, menées par la Région)
[2].
Dernier élément qui ne manque pas d’interpeller, l’attitude des agents immobiliers, formés, et qui connaissent la loi. La profession participe largement à la discrimination : demander à quelqu’un de discriminer est illégal, y répondre l’est tout autant.
[3]
Depuis 2007, une loi (fédérale) proscrit toute forme de discrimination , c’est à dire de traitement défavorable d’une personne par rapport à une autre sur base de critères protégés (ex. sexe, nationalité, origine, âge, fortune, conviction religieuse…). En matière de logement, peu de victimes de discriminations en usent.[4] Les raisons principales : priorité à la recherche d’un logement, et surtout, difficulté de prouver ces pratiques discriminatoires.
Fort de ce constat d’échec, le parlement bruxellois votait, fin 2018 (entré en vigueur au 1er septembre 2019) une ordonnance visant à renforcer la lutte contre la discrimination en matière de logement. Elle permet à l’inspection du logement (la DIRL) d’effectuer des tests pour repérer et sanctionner par des amendes les agents immobiliers et bailleurs privés qui discriminent les candidats locataires.
Nous reconnaissions deux grands mérites à ce dispositif régional :
· Prévoir une sanction financière à l’égard des agents et bailleurs fautifs, qui jusqu’alors jouissaient d’une impunité quasi-totale.
· Déplacer la charge de la preuve de la victime vers l’administration.
Quant à la mise en pratique, dès son adoption, nous craignions que les trop nombreux filtres induits par le dispositif ne le rendent complètement impraticable et inopérant.
· Et ce dès le point de départ : il faut une plainte ou un signalement d’une victime ou d’un témoin avant de pouvoir effectuer un test,[5] alors que l’on sait que très peu d’entre eux signalent les discriminations, lassés par une situation qui n’évolue guère depuis des années. Ils savent également qu’aucune action judiciaire ou extra judiciaire ne leur apportera le logement tant recherché.
· Les quelques dossiers qui échapperaient à ce premier filtre devraient passer avec succès tous les autres obstacles avant qu’un agent immobilier (ou qu’un bailleur privé) ne soit condamné : un ou plusieurs signalement(s), des preuves ou indices suffisamment sérieux pour que la DIRL entame l’enquête, des auditions ne permettant pas à l’agent ou au bailleur soupçonné de se dérober… L’entonnoir risquait de ne pas laisser passer grand-chose.[6]
Nos craintes n’étaient pas infondées. Après plus d’un an de fonctionnement, le bilan du dispositif régional reste très maigre : aucun test effectué, aucune amende infligée.
17 dossiers ont néanmoins été ouverts. La majorité (9/17) à l’initiative d’UNIA, 2 seulement de particuliers et 6 de la DIRL sur base d’annonces en ligne. 3 agences immobilières sont en cause, les 14 autres dossiers concernent des bailleurs particuliers. Un critère protégé revient dans une grande majorité des dossiers (14/17), c’est l’origine des revenus.[7]
Il ressort des premières auditions réalisées que ce critère reste mal compris. Les bailleurs recherchent des locataires dont les revenus semblent suffisamment élevés que pour honorer le loyer (ce qui reste subjectif). Le code du logement autorise le bailleur à demander, au titre d’information précontractuelle, “le montant des ressources financières dont dispose le preneur ou son estimation”. Si s’assurer de la solvabilité d’un candidat est permis, discriminer sur base de l’origine des revenus (et, de facto, du statut social) est formellement prohibé. Mais ce que les études et les tests montrent, c’est que, à revenu égal, un chômeur a moins de chance d’accéder à un logement qu’un travailleur.
Quelles suites ont été données à ces dossiers?
L’une des armes offertes aux inspecteurs régionaux par l’ordonnance, c’est la possibilité d’effectuer ces fameux tests de situation. A l’heure d’aujourd’hui, la DIRL n’en a effectué aucun. Parmi les obstacles, on retrouve l’impossibilité de tester des logements déjà loués, mais surtout l’absence d’indices sérieux.[8] C’est comme cela que la DIRL a considéré de simples témoignages non corroborés par des preuves (annonce, enregistrement…). Des dossiers restés donc sans suite. Difficile à accepter alors que seuls 17 dossiers aboutissent sur le bureau des inspecteurs régionaux. Ceci plaide certainement pour un allègement des conditions d’éligibilité aux tests.
La DIRL a organisé 6 auditions (6 autres sont encore prévues), qui se sont soldées par un simple rappel à la loi aux contrevenants. La porte-parole de la secrétaire d’état au logement parle d’indulgence car le dispositif est récent.[9] Une explication qui peine à convaincre, compte tenu des actions passées menées par la Région. On ne compte plus les campagnes d’informations, de sensibilisation… Les professionnels connaissent la loi, les bailleurs privés aussi (excepté peut-être ce que recouvre la notion de discrimination sur base de la fortune). Il est temps de passer à la vitesse supérieure. L’approche répressive doit prendre le pas sur la tolérance en la matière.
La secrétaire d’état annonce qu’un groupe de travail planche actuellement sur l’évaluation du dispositif. Il devrait accoucher de recommandations pour le rendre plus opérationnel. D’après les premiers retours[10], les évaluateurs soutiennent la nécessité de clarifier et assouplir les conditions préalables à la réalisation de tests. Ils avancent également la piste d’un testing proactif, à l’initiative de la Région. Nous continuons de croire que sans cela, aucun message fort envers bailleurs et agents immobiliers discriminant ne passera et que la situation sur le terrain n’évoluera guère. La lutte contre la discrimination ne doit plus reposer uniquement sur les épaules de celles et ceux qui en pâtissent. Il faut inverser cette logique. Des tests en série sont réalisés dans le cadre d’études. On constate l’infraction, il faut aussi pouvoir la sanctionner.
Pour autant, tant que le marché locatif privé restera tellement déséquilibré qu’il ne l’est aujourd’hui, tant que la pression sur les logements du bas de la gamme demeurera élevée, tant que les bailleurs garderont toute liberté pour imposer les prix et conditions de location, les phénomènes discriminatoires persisteront. Les bailleurs les plus avertis risquent d’échapper à toute forme de sanction.
Pour faire face aux discriminations, essentiellement basées sur la fortune en matière de logement, la nécessité de réguler le marché locatif pour un retour à des loyers plus acceptables ne fait aucun doute. La solution passe également par la production en masse de logements sociaux, la meilleure option pour les ménages les plus précaires.
Cette analyse est publiée à l’aide de subsides de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Région de Bruxelles-Capitale, Insertion par le logement.
[1] Les études :
- UNIA, Baromètre de la diversité logement, 2014 (en ligne : https://www.unia.be/files/Documenten/Publicaties_docs/barometre_de_la_diversite_logement.pdf)
- Verhaeghe, P.P., Coenen, A., Demart, S., Van der Bracht, K., Van de Putte, B., DISCRIMIBRUX. Discrimination sur le marché locatif privé de la Région de Bruxelles-Capitale, université de Gand, 2017 (en ligne : https://logement.brussels/documents/documents-du-cil/discriminibrux/rapport-denquete-discrimination-fr)
- Verhaeghe, P.P., Mastari, L. (2018). Mystery shopping auprès des agents immobiliers dans la Région de Bruxelles-Capitale Bruxelles: Département Sociologie, Vrije Universiteit Brussel (en ligne : https://logement.brussels/documents/documents-du-cil/discriminibrux/Etude%202018%20Mystery%20shopping%20aupres%20des%20agents%20immobiliers%20dans%20la%20Region%20de%20Bruxelles-Capitale.pdf)
- Verhaeghe, P.P., Dumon, M. (2019). Discrimibrux 2019. Discrimination par des agents immobiliers dans la Région de Bruxelles-Capitale en 2019. Bruxelles : Vakgroep Sociologie, Vrije Universiteit Brussel. (en ligne : https://logement.brussels/documents/documents-du-cil/discriminibrux/Etude%20-2019-%20Discrimination%20par%20des%20agents%20immobiliers%20dans%20la%20Region%20de%20Bruxelles-Capitale%20en%202019.pdf )
- Pieter-Paul Verhaeghe & Abel Ghekiere (2020):The impact of the Covid-19 pandemic on ethnic discrimination on the housing market, European Societies. (en ligne : https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/14616696.2020.1827447)
[2] DiSCRIMIBRUX 2017 et 2019, op. Cit.
Les rapports nous renseignent encore sur les discriminations basées sur le handicap : les candidats sont significativement discriminés lorsqu’ils présentent un handicap mental, et la situation empire entre 2017 et 2019 (16 % en 2017 et 29% en 2019)
[3] DISCRIMIBRUX 2017 et 2018, op.cit.
37% en 2017 et 34% en 2018 acceptent de discriminer les allocataires sociaux et 43% en 2017, 25% en 2018 les minorités ethniques. Les autres tombent dans une zone grise, en ne répondant pas clairement à la demande.
[4] UNIA n’a ouvert que 56 dossiers logement en 2019 à Bruxelles. UNIA, Rapport chiffres, 2019. https://www.unia.be/files/Documenten/Jaarrapport/2020_Rapport_chiffres_2019_DEF.pdf
[5] La DIRL peut d’initiative ouvrir des dossiers sur bases de critères discriminants publiés dans des annonces et offres de logement par exemple.
[6] Pour lire l’avis du RBDH sur le dispositif à son adoption : RBDH, baromètre du logement, mai 2019, p.17. En ligne : http://www.rbdh-bbrow.be/IMG/pdf/rbdh_barometre_du_logement.pdf
[7] Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, Question écrite n°292, 11/11/2020. En ligne : http://www.parlement.brussels/weblex-quest-det/?moncode=148048&montitre=&base=1 et échange avec la cellule logement du cabinet de Nawel Ben Hamou, le 20/11/2020.
[8] Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, Question écrite n°292, 11/11/2020. En ligne : http://www.parlement.brussels/weblex-quest-det/?moncode=148048&montitre=&base=1
[9] BX1, “Discrimination au logement : pourquoi la Région n’effectue pas de tests de situation alors qu’elle en a la compétence ?”, 13 octobre 2020. En ligne : https://bx1.be/news/discrimination-au-logement-pourquoi-la-region-neffectue-pas-de-tests-de-situation-alors-quelle-en-a-la-competence/
[10] Echanges avec la cellule logement du cabinet de Nawel Ben Hamou, le 20/11/2020