Les analyses du RBDH
12 min readMay 23, 2019

Nederlandstalige versie

Une analyse du RBDH en collaboration avec Sarah De Laet d’Inter-Environnement Bruxelles

Avec la réforme du bail[1], le gouvernement bruxellois a introduit une grille indicative de référence des loyers. Officiellement, le but de ces loyers de référence est double : servir d’indication pour les bailleurs et locataires, mais aussi définir le plafond obligatoire pour les locataires prétendant à l’allocation-loyer. Le Rassemblement Bruxellois pour le Droit à l’Habitat a décidé de tester cette grille en pratique.

Depuis le 1er janvier 2018, les Bruxellois.es peuvent se rendre sur le site www.loyers.brussels afin de connaître la fourchette de loyer indicative correspondant à leur logement. Ces loyers de référence ne sont qu’indicatifs étant donné qu’ils ne constituent aucune obligation pour les propriétaires[2].

Il est pourtant prévu que ces loyers « indicatifs » ne puissent être dépassés pour les locataires ayant droit à la nouvelle allocation-loyer (ou allocation de logement) à partir de septembre 2019.

Le RBDH a humblement testé la grille de loyer et notre constat est sans appel. Pour le moment la grille n’a aucun impact limitatif sur le marché locatif ; les loyers de référence reflètent plutôt les effets pervers du marché plutôt que de tenter de définir un loyer juste au regard de la qualité du logement ; et le plafond appliqué pour l’allocation-loyer exclura la plupart du public à laquelle elle est destinée.

1. Le calcul du loyer de référence : quelques explications

Le calcul du loyer de référence est basé sur les loyers médians des enquêtes de l’Observatoire des loyers réalisées en 2012, 2013 et 2015, soit un échantillon total de 8400 logements, qui se veut représentatif de l’ensemble des loyers du marché bruxellois. Il est prévu que la grille soit révisée annuellement sur base d’enquêtes plus récentes (sinon, indexée)»[3].

Les loyers de référence sont calculés selon sept critères qui auraient une influence décisive sur le niveau des loyers : le type de logement, le nombre de chambres, la surface, l’année de construction, le quartier dans lequel il est situé[4], la présence ou de l’absence d’attributs du logement[5] et de performance énergétique du bâtiment (PEB).

Le gouvernement bruxellois a fait le choix de ne pas publier le loyer médian, mais une « fourchette indicative », à savoir un loyer de référence minimum (loyer médian -10 %) et un loyer de référence maximum (loyer médian +10 %).

Ici quelques exemples :

2. Le test du RBDH : comparaison entre loyers indicatifs et des loyers réels

Fort de ses associations membres, le RBDH a testé les loyers de près de 300 logements bruxellois en 2018, afin de comparer les loyers réels avec les loyers de référence indiqués sur loyers.brussels.

La plupart des associations-membres du RBDH sont essentiellement actives dans les quartiers centraux populaires ou dans la première couronne[6] et travaillent, pour une part importante d’entre elles, avec des publics précaires habitant de petits logements[7]. Cela a évidemment un impact sur les loyers récoltés. Cependant, nos données sont valables. Elles représentent bien des loyers réels, payés aujourd’hui par des ménages bruxellois pauvres.

Le test effectué par le RBDH démontre qu’il existe une grande différence entre les loyers réels et les loyers indicatifs.

Premier chiffre qui saute aux yeux : près de 70% (69,9 %) des loyers réels sont supérieurs au loyer de référence maximum. 17,73 % des loyers réels se situent effectivement dans la fourchette indicative et 12,37 % sont inférieurs au loyer indicatif minimum. Dans les quartiers populaires centraux (croissant pauvre)[8], la proportion de logements supérieurs au loyer indicatif maximum est encore plus élevée : elle est de 78%.

Nous constatons également que les loyers réels ne dépassent pas qu’un peu, mais fortement les loyers indicatifs : ils dépassent en moyenne de 39% le loyer de référence maximum !

3. Notre évaluation

Il est interpellant qu’autant de loyers testés dépassent si fortement les loyers de référence maximum.

De deux choses l’une, ou les loyers de référence sont trop bas ou les locataires payent des loyers trop élevés. Notons que la grande majorité des logements que nous avons testée avait des baux relativement récents, tandis que la grille indicative est basée, elle, sur les loyers payés par 8.400 locataires, dont une part de baux plus anciens. Cette différence peut expliquer, mais en partie seulement, la réalité observée dans notre test.

La réalité d’un marché locatif injuste

Entre loyers de référence trop bas ou loyers réels trop chers, nous penchons vers la deuxième explication. Il y a beaucoup de demandes et très peu d’offres de logements modestes : les plus pauvres sont nombreux[9] mais peu recherchés par les propriétaires. Sur un marché du logement soumis à une pression de plus en plus grande (particulièrement pour les logements modestes), les phénomènes discriminatoires (principalement sur base des revenus, mais aussi de l’origine) s’exacerbent[10]. La concurrence pour éviter la rue est rude. De nombreuses personnes déjà vulnérables se retrouvent contraintes d’accepter de payer des loyers abusifs.

Notons par ailleurs que les ménages les moins nantis déménagent beaucoup plus que les autres[11] et se confrontent donc constamment aux nouveaux prix du marché.

Les dernières enquêtes de l’Observatoire des loyers avaient également permis de constater objectivement que des logements de mauvaise qualité étaient loués plus chers que des logements de qualité moyenne :

Et une récente analyse de l’IWEPS[12], dont l’approche avait pour but de déterminer les tendances du marché locatif actuel (annonces Immoweb et baux récents), a démontré que les loyers des petits logements bon marché augmentaient plus fort que celui des logements plus grands ou plus chers[13].

Nos résultats soulèvent aussi des questions sur la méthode utilisée par l’Observatoire des loyers — sur base de décision gouvernementale — pour calculer les loyers de référence. Pourquoi utiliser le reflet des prix du marché alors que celui-ci nous en révèle justement les effets pervers ? D’autant plus que les loyers injustes et abusifs sont particulièrement pratiqués dans le segment modeste du parc qui accueille les locataires les plus pauvres. La grille des loyers devrait corriger cette distorsion et non pas l’intégrer.

Aucun pouvoir de négociation pour les locataires

Au vu de la tension sur le marché locatif, nous doutons sérieusement que la grille apporte pouvoir de négociation supplémentaire aux locataires. Eric Verlinden, patron de Trevi, déclarait il y a peu dans l’Echo qu’il n’avait jamais vu un locataire tenter de renégocier un loyer en se référant à la grille bruxelloise[14]. Il n’est pas évident pour les locataires, de négocier un loyer à la baisse lors de la conclusion d’un contrat de bail, et encore moins en cours de bail.

Le fait que le gouvernement ait insisté, dans le Code du logement, pour que la grille ne constitue pas une contrainte supplémentaire pour le bailleur, a encore réduit la marge de négociation, déjà faible[15].

Trop peu critères de qualité

Nous constatons l’absence de nombreux critères permettant réellement d’objectiver la qualité du logement. Il est tout bonnement impossible de rendre des nombreux de nombreux défaut de qualité (voir de situations d’insalubrité) régulièrement décelés dans certains logements : problèmes d’humidité, de chauffage, d’eau chaude, de qualité des circuits électriques, etc.

L’état général du logement n’est évalué que selon quelques critères : la présence ou non de double vitrage, la date de construction (avant ou à partir de 2000), la PEB et l’absence ou la présence de certains attributs du logement, mais leur impact sur le loyer de référence est limité[16].

Un bâtiment construit avant 2000 et sans double vitrage présentera seulement une petite différence de loyer indicatif comparé à un logement construit à partir de 2000 et avec double vitrage.

12% des loyers testés sont inférieurs au loyer indicatif minimum et 18% se situent dans la fourchette indicative. C’est peu, et encore : rien ne dit en plus que ces logements sont en bon état. Une part de ces logements présente probablement de nombreux défauts de qualité et leurs loyers pourraient également être considéré comme abusifs. Pire encore, certains ménages vivent dans des logements insalubres qui ne devraient pas être loués.

Une grille contraignante pour les candidats à l’allocation-loyer

Le caractère indicatif de la grille prémunit les propriétaires contre toute contestation du loyer. Celle-ci constituera pourtant une contrainte pour les locataires les plus démunis.

Le gouvernement annoncé ouvrir les conditions d’accès à l’allocation de logement à un public plus large qu’auparavant[17], mais les a complètement cadenassées par ailleurs : ces locataires seront contraints d’habiter un logement dont le prix ne pourra pas dépasser le loyer de référence maximum[18]. Notre petit test nous fait craindre qu’une part importante du public ayant droit à l’allocation se retrouvera dans les faits, exclue du dispositif! C’est un comble ! Autant le dire tout de suite : « ceci n’est pas une allocation-loyer » !

Une part importante du public ayant droit à l’allocation se retrouvera dans les faits, exclue du dispositif ! Autant le dire tout de suite : « ceci n’est pas une allocation-loyer » !

4. Nos recommandations

Par rapport à la grille elle-même

La grille doit contenir plus de critères qui permettent d’inclure des défauts liés à la qualité du logement : isolation, équipement de chauffage, mauvaise qualité ou vétusté des équipements,… Tous ces défauts qui diminuent la valeur du logement sans mettre en danger la santé ou la sécurité des habitants. Enfin, il reste évident qu’un logement insalubre ou dangereux ne peut pas être loué, un point c’est tout !

Par rapport au caractère indicatif de la grille

Le RBDH avait déjà émis des réserves vis-à-vis d’une grille qui resterait indicative. Au vu du rapport de force déséquilibré entre locataires et propriétaires, la marge de négociation d’un locataire varie entre « faible » (pour les plus outillés) à « inexistante ».

Le gouvernement bruxellois a évalué la grille 6 mois après sa parution. Selon les informations en notre possession[19], l’évaluation conclut que la parution de la grille n’aurait pas influencé les prix des loyers[20], une constatation parfaitement prévisible après seulement 6 mois de publication.

Pour le moment, nous pouvons seulement espérer que quelques courageux s’en saisissent pour tenter une (re)négociation du loyer. Les Equipes Populaires et plus récemment l’ASBL Loyers négociés se sont lancées dans ce type d’actions et ont obtenu gain de cause : un propriétaire a été condamné à rembourser aux locataires 150 euros par mois depuis le début du bail[21].

Pour la grande majorité des locataires, la solution la plus efficace reste une grille qui a un réel impact sur les loyers. Ainsi, les propriétaires qui exigent des loyers trop élevés devraient être contraints de les diminuer.

C’est pourquoi le RBDH plaide pour la mise en place d’une commission paritaire locative (composée de représentants des locataires et des propriétaires) avec un pouvoir de juridiction contentieux. Saisissable par les propriétaires ou les locataires, celle-ci serait chargée de fixer un loyer juste, en s’inspirant de la grille de référence (améliorée). Le locataire ou le propriétaire pourrait alors faire appel de cette décision au tribunal pour la contester. Cette commission serait également chargée de faire évoluer la grille des loyers afin qu’elle tienne mieux compte des réalités locatives et de l’état du logement. Sa mise en place permettrait de lutter contre les loyers abusifs dont le nombre risque d’augmenter de pair avec la pression sur le marché du logement.

Sur le caractère obligatoire pour l’allocation loyer

Nous pensons qu’il est prématuré de faire dépendre le droit à l’allocation-loyer d’une grille qui n’a pas encore été évaluée sérieusement.

Nous sommes conscients qu’il est nécessaire de contrôler le prix des loyers dans le cadre de la mise en place d’une allocation à large échelle (afin qu’elle ne soit pas absorbée par le marché). Cependant, faire reposer le respect de cette grille sur les locataires les plus précaires (candidats à l’allocation), nous semble surréaliste, absurde, voire carrément cynique.

Cette analyse est publiée à l’aide de subsides de la Région de Bruxelles-Capitale, Insertion par le logement et avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

[1] Ordonnance visant à la régionalisation du bail d’habitation, Région de Bruxelles-Capitale, [C — 2017/40697], 27 juillet 2017 (M.B. 30 octobre 2017)

[2] L’ordonnance bail prévoyant la publication d’une « grille indicative de référence des loyers à laquelle pourront se référer les parties sans que cela ne constituera une charge supplémentaire pour le propriétaire ».

[3]Arrêté d’exécution du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale instaurant une grille indicative de référence des loyers — Erratum, Région de Bruxelles-Capitale, [C — 2017/31525], 10 novembre 2017 (M.B. 29 novembre 2017).

[4] 114 quartiers existants ont été catégorisés en 7 grands groupes de quartiers, déterminés en fonction des valeurs des loyers mensuels moyens estimés pour tous les logements (Observatoire des loyers).

[5] Deuxième salle de bain, présence de garage(s), présence d’un espace de rangement, absence de chauffage central, absence d’outils de régulation thermique, absence d’espace récréatif.

[6] Répartition géographique des logements testés : 43 % des logements se situaient dans le croissant pauvre et 41,6 % dans la 1ère couronne, 16% dans la 2e couronne.

[7] La plupart des données récoltées concernent des logements 1 chambre (164/299) ou 2 chambres (86/299).

[9] 33% des Bruxellois.e.s vit sous le seuil de pauvreté (Baromètre social 2018).

[10] Cf. analyse « Oser sanctionner la discrimination », RBDH, novembre 2017, http://www.rbdh-bbrow.be/spip.php?article1855.

[11] DE LAET, S., « Les classes populaires aussi quittent Bruxelles. Une analyse de la périurbanisation des populations à bas revenus », Brussels Studies [En ligne], Collection générale, n° 121, p.8, mis en ligne le 12 mars 2018, consulté le 10 mai 2019. URL : https://journals.openedition.org/brussels/1630.

Notons que les profils des locataires plus mobiles sont plutôt jeunes, occupants de petits logements, familles monoparentales ou encore allocataires sociaux (Observatoire des loyers 2017, p.65–66 : http://slrb.brussels/sites/website/files/pages/slrb-obsloyer-enquete2017-fr-web.pdf ).

[12]Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique.

[13] Ghesquière, F., « Le marché locatif sous la loupe. Mesurer les loyers dans les communes belges et wallonnes », Regards statistiques, n°2, IWEPS, 2018, https://www.iweps.be/publication/marche-locatif-loupe-mesurer-loyers-communes-belges-wallonnes/.

[14] http://celinefremault.be/fr/la-grille-des-loyers-ne-met-pas-le-proprietaire-en-cage-lecho

[15] Notons qu’un article de l’ordonnance bail — déjà hérité de la loi 1991 — pourrait servir aux locataires pour renégocier un loyer à la fin de chaque triennat.

« Article 240 :
Sans préjudice de l’article 8, les parties peuvent convenir de la révision du loyer entre le neuvième et le sixième mois précédant l’expiration de chaque triennat.
A défaut d’accord des parties, le juge peut accorder la révision du loyer s’il est établi que par le fait de circonstances nouvelles, la valeur locative normale du bien loué est supérieure ou inférieure de vingt pour cent au moins au loyer exigible au moment de l’introduction de la demande. […]». (27 juillet 2017. — Ordonnance visant la régionalisation du bail — Titre XI — Chapitre III — Section 3 : Révision du loyer et des charges).

[16] Pour certains logements neufs ou rénovés, une excellente PEB influencera plus fortement le prix indicatif (différence de +20 (D) ou +50 ©, + 100 (B), +150 (A)). Pour le reste du parc locatif, la PEB influencera très peu le loyer indicatif. En effet, pour 74 % des logements loués à Bruxelles, la PEB serait inférieure ou égale à E, impliquant donc une très légère variation du loyer (différence de -20 (G) ou -10 (F) ou 0 euros € pour les loyers indicatifs). NB : selon l’enquête 2016 de l’Observatoire des loyers, la PEB des logements loués à Bruxelles est de 32 % = G, 18 % = F, 24 % = E, 19 % = D, 7 % = C. (Cf. De Keersmaecker, L., Observatoire des Loyers. Enquête 2016, SRLB, 2017).

[17] Elle sera ouverte à tous les ménages en attente d’un logement social et disposant du Revenu d’Intégration Social. Pour en savoir plus sur l’allocation-loyer: cf. « Une allocation-loyer généralisée : mon œil! », RBDH, http://www.rbdh-bbrow.be/spip.php?article1863.

[18] Art. 104/1 § 3. « Pour bénéficier de l’aide au loyer, le montant du loyer mentionné dans le contrat de bail à la date de sa conclusion doit être inférieur ou égal aux montants repris en annexe de l’arrêté d’exécution du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 19 octobre 2017 instaurant une grille indicative de référence des loyers, et plus spécifiquement aux montants correspondant au seuil supérieur de la fourchette de prix proposée par la grille » : http://www.ejustice.just.fgov.be/doc/rech_f.htm

[19]A notre grand regret, nous n’avons pas pu obtenir plus d’information du cabinet de la Ministre Fremault. L’évaluation de la grille wallonne a, elle, été publiée dans son intégralité en ligne : http://www.cehd.be/media/1158/rapport_evaluation_grille_indicative_loyers_final_2017.pdf

[20] http://celinefremault.be/fr/la-grille-des-loyers-ne-met-pas-le-proprietaire-en-cage-lecho

[21] 15 janvier 2019, Canton de Saint-Gilles.