Merci à la CAAP , Rizome et au RePR pour leurs éclairages précieux sur le sujet.
Trouver un logement à Bruxelles quand on dispose de ressources faibles, c’est toujours une gageure. Pour les détenus, c’est quasiment mission impossible. Lorsqu’ils quittent les murs de la prison, ils se trouvent confrontés à cette épreuve (lorsqu’un retour en famille est impossible ou non-souhaitable) mais aussi à de multiples autres : retissage des liens sociaux, remise en ordre administrative, recouvrement des droits sociaux, définition d’un projet professionnel, suivi des soins, addictions à gérer… Les intervenants sociaux sont unanimes : la sortie de prison est un moment charnière, déstabilisant, qui demande un accompagnement rapproché et millimétré, en fonctions des fragilités spécifiques à chaque détenu. Il est pourtant souvent mal préparé ou préparé trop tardivement. Avec pour conséquence principale un risque accru de retour à la case prison.
Le logement joue un rôle central dans le processus de réinsertion : « Les différentes études sur le sujet, tant nationales qu’internationales, attestent ainsi que disposer d’un logement ou a minima d’un hébergement est un facteur clé à la fois en termes de réinsertion sociale effective mais aussi de prévention des risques de récidive. »[1] En outre, l’octroi d’une libération conditionnelle ou d’une surveillance électronique est souvent conditionné à l’existence d’une solution logement ; c’est l’une des composantes essentielles des plans de réinsertion (avec les projets de travail/formation et d’accompagnement psycho-social). Les détenus sont donc invités à trouver un logement avant la sortie de prison, mais les ressources dont ils disposent pour y parvenir sont terriblement maigres (accès internet limité, peu d’informations sur les structures d’accueil, pas de possibilités de visites). Sans logement, pas de libération. Sans sortie, difficile de trouver un logement. L’équation est insoluble. En Belgique, le taux de réincarcération (pour non-respect des conditions de libération ou pour commission d’un nouveau délit) est élevé, proche des 50% ![2]
De nombreux sortants de prison n’ont aucune solution de logement voire d’hébergement. A Schaerbeek, à titre d’exemple, le RePR[3] (Réseau de Prévention à la Récidive) estime que plus de 15% des personnes suivies par le service se retrouvent sans aucune option de logement à la sortie. Des personnes qui sont alors contraintes de se tourner vers des solutions précaires, des hébergements d’urgence … et certains se retrouvent directement à la rue.
« Si tu n’as pas de famille, d’endroit où aller, tu te retrouves à la rue, dans un squat, sans aucun filet de sécurité »[4]
Bien souvent, les ex-détenus ne disposent pas de ressources suffisantes — voire pas de ressources du tout! — que pour accéder à un logement.
Pour les justiciables bénéficiaires du revenu d’intégration sociale (le RIS), il faudra faire avec les procédures des CPAS et attendre la décision du conseil de l’action sociale[5]. La demande doit se faire auprès du CPAS de la commune où les détenus étaient inscrits. Les démarches et délais s’allongent inévitablement s’ils n’étaient pas domiciliés avant leur incarcération, ou s’ils n’ont pas maintenu leur situation administrative en ordre lors de la période de détention (pas de renouvellement de la carte d’identité, radiés des registres communaux…). Cela signifie que le sortant de prison n’aura pas de revenu le premier mois de sa sortie, voire beaucoup plus longtemps. Difficile d’engager une recherche de logement alors que l’on ne dispose d’aucune ressource financière.
Le sort des détenus qui poursuivent leur peine sous surveillance électronique[6] n’est guère plus enviable. Ce n’est pas le CPAS qui leur alloue un revenu — car ils sont toujours considérés comme des détenus[7] — mais ils peuvent obtenir une allocation du SPF justice. Cette allocation « entretien détenu sous surveillance électronique » est généralement inférieure aux montants du revenu d’intégration.
En outre, bon nombre d’entre eux doivent s’acquitter de frais de justice et/ou dédommagement aux victimes et/ou amendes pénales. Des frais qui s’additionnent aux potentielles dettes existantes avant l’incarcération et à celles qui peuvent en naître : les détenus ne pensent pas toujours à résilier tous les contrats à leur entrée de prison (loyer, énergie, assurances, abonnement de téléphone, salle de sport…) qui continuent à courir. Non honorés, ils risquent d’accumuler frais de rappel ou d’huissier pour atteindre des montants exorbitants.[8] Un endettement difficilement « apurable » en prison, faute de revenu[9].
La précarité financière et le surendettement touchent certainement une proportion importante des détenus, impactant leurs ressources mais aussi leurs options de relogement.
Dans de telles circonstances, on comprendra sans peine que les solutions d’hébergement à la sortie de prison sont limitées. Le marché privé est tout bonnement hors de portée. Les maisons d’accueil, par manque de places disponibles ou en raison de projets spécifiques, ne sont pas toutes indiquées pour les sortants de prison. En outre, les porteurs de bracelets électroniques n’y sont généralement pas admis pour des motifs techniques (conditions horaires et géographiques par exemple), mais aussi au vu des ressources trop limitées dont dispose ce public spécifique ; l’allocation du SPF justice jugée insuffisante que pour honorer les frais d’hébergement demandés par les maisons d’accueil. A Bruxelles, seules deux maisons d’accueil hébergent des personnes sous surveillance électronique : La Source et l’Ilot[10].
Ce sont alors des structures non agrées qui prennent le relais (des SHNAs), aux pratiques plus souples que les maisons d’accueil, mais nettement moins professionnelles, ce qui rend très hypothétique le suivi d’un projet de réinsertion.
Faut-il créer des dispositifs spécifiques pour les sortants de prison ? Faut-il améliorer l’accès aux dispositifs existants ? Le débat est intéressant, la majorité des intervenants sociaux semble pencher pour la seconde option… Mais la saturation des structures existantes impose aux services sociaux qui interviennent auprès des détenus d’envisager des solutions de logement dédiées. Elles se comptent aujourd’hui sur les doigts d’une main.
A Bruxelles, l’ASBL Rizome (issue de la fusion de l’Office de réadaptation sociale (ORS) et du Service de réinsertion sociale (SRS)) a développé un projet logement spécifique, convaincue par le rôle du logement dans la réussite d’un projet de réinsertion.
Premier axe de travail, l’ASBL cherche à nouer des partenariats avec des bailleurs sociaux (AIS et SISP) pour obtenir des dérogations aux listes d’attente au bénéfice de sortants de prison[11], mais aussi pour inscrire les personnes encore incarcérées. L’enjeu se situe au niveau administratif, les détenus ne pouvant rassembler l’ensemble des documents nécessaires à une inscription pendant leur détention.
Deuxième axe : Depuis 2017, Rizome gère une “maison de transition”, projet pilote inspiré d’expériences québécoises. Dans la maison, 4 chambres pour accueillir des sortants de prison et des espaces communs partagés. C’est un particulier qui a mis son bien à disposition de l’association et l’AIS Quartiers qui se charge de la gestion locative. Une transition (bail de 6 mois renouvelable 2 fois) à mettre à profit pour effectuer toutes les démarches nécessaires au projet de réinsertion qui n’ont pu être anticipées en prison. Grâce à la collaboration de la commune et du CPAS, les démarches liées à la domiciliation, au statut isolé et à l’obtention des aides du CPAS sont facilitées. Mais c’est surtout la recherche d’un logement durable qui occupe les ex-détenus et les travailleurs sociaux. Piste privilégiée : les AIS. Lorsque l’ASBL rencontre les détenus incarcérés et leur propose le projet, ils doivent s’inscrire sur les listes d’attente des AIS (auprès de celles qui acceptent les inscriptions provisoires pour les détenus). Ainsi, ils se voient généralement attribuer un logement après quelques mois passés dans la maison. Une deuxième maison de transition, pour femmes, s’est ouverte à Saint-Gilles, fruit d’une collaboration entre les ASBL Rizome, ISALA (qui soutient les prostituées), le projet Bethleem (propriétaire du bâtiment) et l’AIS de Saint-Gilles. Le projet bénéficie également de l’accueil favorable du CPAS saint-gillois.
A Schaerbeek, le service communal d’aide aux justiciables, le RePR, développe également un projet logement. Il s’agit de proposer un logement dès la sortie de prison, pour garantir la stabilité et la sécurité nécessaires à la mise en place et à la réussite du plan de réinsertion de l’ex-détenu. Ici aussi, des propriétaires particuliers proposent des biens (logements individuels) pour le projet et c’est également l’AIS (Quartiers dans ce cas-ci) qui joue l’intermédiaire entre les propriétaires et le RePR. Le CPAS est associé au projet, afin notamment de réduire le temps nécessaire à l’obtention du RIS ou d’autres aides sociales. Aujourd’hui, le projet ne concerne qu’un seul logement, il mérite d’être étendu.
A l’instar des projets visant à faciliter l’accès au logement pour les sans-abris, les AIS font office de partenaires incontournables[12] ; leurs liens associatifs les amenant à accorder une attention forte aux publics particulièrement vulnérables. [13] En revanche, elles n‘assument pas tous les risques liés au vide locatif, généralement supérieur à la moyenne compte-tenu des procédures et de l’incertitude quant à la date de libération effective. Les partenariats conclus entre l’ASBL Rizome et les AIS précisent que c’est Rizome qui assume le vide, en payant, lorsque c’est nécessaire, un mois de loyer de vide pour maintenir un logement accessible. Pour le financement, l’ASBL a développé un fonds d’impulsion, via des aides reçues par diverses donations et fonds privés[14].
Par ailleurs, sous la précédente législature, la Fédération Wallonie-Bruxelles décidait de la mise en place d’une « maison de désistance » pour l’accueil d’une vingtaine d’anciens détenus. Elle devait ouvrir ses portes sur le sol bruxellois (ouverture initialement prévue en 2019, mais le projet semble prendre beaucoup de retard)[15]. Objectif : proposer un toit et un encadrement à des sortants de prison, qui ont purgé leur peine, en vue de faciliter leur réinsertion, en leur permettant de se concentrer plus aisément sur leurs démarches prioritaires (recherche d’un emploi, d’une formation, d’un logement, d’aides sociales…).
Bien que le tableau dressé soit plutôt sombre, les acteurs de terrain identifient plusieurs pistes pour l’améliorer. Favoriser l’accès au logement, c’est aussi favoriser les chances de réinsertion et limiter ainsi les risques de récidive[16].
D’abord, il est indispensable de préparer la sortie DE prison EN prison et d’anticiper un maximum de démarches. Le temps passé en prison ne peut plus être uniquement du temps perdu. Il doit pouvoir prendre du sens, donner un véritable élan à la réinsertion et non, comme c’est encore trop souvent le cas, accentuer la marginalisation d’un public souvent fragilisé avant l’incarcération. Pour y parvenir, il sera nécessaire de renforcer les services actifs en prison[17] et d’améliorer l’accès aux informations de base pour tous les détenus.
Au niveau du logement, cela passe par exemple par la possibilité de s’inscrire sur les listes d’attente du logement social ou des AIS pendant la détention. Cela devrait aussi passer par une anticipation des démarches auprès des CPAS, qui pourraient prendre une décision de principe quant à l’octroi d’une aide sociale (RIS ou avance d’une garantie locative[18] par exemple) à un détenu en fin de peine. Un fois sorti, cette aide lui serait alors octroyée beaucoup plus rapidement.
Ensuite, il faut pouvoir ajuster les timings des procédures judiciaires et ceux des démarches et possibilités d’accès au logement. Les incertitudes quant à la date de sortie de prison fragilisent tant le détenu que la structure prête à l’accueillir. Réserver un logement à un détenu qui attend la décision du Tribunal d’Application des Peines (le TAP) et la date de sa libération impose à la maison d’accueil ou à l’AIS un vide locatif. A l’inverse, si le logement envisagé n’est pas disponible le jour de la libération, c’est le sortant de prison qui risque de se retrouver à la rue ou en accueil d’urgence. Les mêmes difficultés se posent dans d’autres domaines — tels que l’accès à une formation par exemple- — et les TAP s’y adaptent progressivement, en proposant des dates de libération « sine die » par exemple. Lorsque le détenu peut entamer un programme de formation, il peut être libéré, sans repasser par la case TAP. Des pratiques qui gagneraient à être élargies aux solutions de logement.
Enfin, les projets portés par les associations méritent d’être soutenus et encouragés. Pour être menés à bien, ils demandent le déploiement de stratégies et d’énergies démesurées, mais ô combien nécessaires car les besoins sont là.
« Pour contribuer à la réinsertion sociale réussie des détenus, le Gouvernement renforcera les services d’aide aux justiciables et poursuivra les projets visant la création de solutions de logements adaptées pour prévenir le sans-abrisme de ces personnes en fin de détention. » DPR 2019–2024
Dans cet extrait de la nouvelle déclaration de politique régionale, la Région bruxelloise, compétente en matière de logement, se montre attentive à la question. Elle connait la nature du problème et annonce les premières pistes pour le résoudre. Les prochaines années verront-elles la concrétisation de solution de logements adaptées ? La Région s’en donnera-t-elle les moyens? Affaire à suivre.
Cette analyse est publiée à l’aide de subsides de la Région de Bruxelles-Capitale, Insertion par le logement et avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
[1] Cerema, Organiser la sortie de détention : De la prison vers le logement, mai 2017, p.5
[2] CAAP, Sortir de prison… Vers une transition réussie ?, mars 2017, pp.12–13
[3]Le RePR est un service communal, unique à Bruxelles, qui vient en soutien aux détenus schaerbeekois et à leurs familles. En 2017, le service a suivi 228, personnes, parmi lesquelles 35 étaient sans perspective de logement. Cf. Présentation du Projet logement du RéPR, p.3. En France, l’administration pénitentiaire a mesuré, en 2015, la proportion de détenus sortant sans solution de logement à 17,5%. Cf. Cerema, op.cit., p.9
[4] Paroles de détenus, « Détention : les voix oubliées », Alter Médialab, n°7, novembre 2018, p.16
[5] L’octroi du RIS est conditionné à l’acceptation du dossier par le conseil de l’action sociale, qui n’intervient qu’après l’enquête sociale et la présentation du rapport social au conseil. Ce dernier dispose alors d’un délai de 30 jours pour donner sa décision.
[6] Ils sont et seront de plus en plus nombreux en Belgique, vu « la popularité » du dispositif pour pallier la surpopulation carcérale.
[7] Ils dépendent du SPF justice et non du SPF intégration sociale (pour les CPAS)
[8] Ainsi, des factures impayées de quelques dizaines d’euros peuvent se transformer en dettes de centaines, voire de milliers d’euros, si elles ne sont pas réglées. Voir notamment : C. VALLET “La dette et le prisonnier : des difficultés qui s’additionnent, les échos de l’endettement, 2010. En ligne et N. COBBAUT “Surendettés et en prison, double peine?”, Alter échos, 468, novembre 2018, pp.38–41
[9] En prison, une partie des détenus peut travailler, pour une rémunération oscillant entre 0,62€ et 1,25€/heure. Cf. « Détention : les voix oubliées », Alter Médialab, n°7, novembre 2018, p.12
[10] Les 3 maisons d’accueil de l’Ilot (2 à Bruxelles et 1 à Charleroi) ont hébergé, en 2018 : 23 hommes en congé pénitentiaire et 4 sous bracelet électronique. Cf Ilot, rapport d’activités 2018, p.19. En ligne
La maison d’accueil La Rive de l’ASBL La Source, qui défend une politique de très bas seuil d’accès, accueille maximum 2 personnes avec bracelet électronique simultanément.
[11] Et depuis 2018 via la projet Bru4Home
[12] Le logement à Bruxelles : Quel accès pour les sans-abris ?, actes du colloque du 4 mai 2015, p.29
[13] A noter, une nouvelle ASBL wallonne, « le passage pour sortants de prison » (2017) a pour vocation de capter des logements (publics ou privés) pour les mettre à disposition des sortants de prison. Elle fonctionne en procédant à des locations et sous-locations plutôt qu’en confiant les biens à une AIS.
[14] Rotary, Vivre Ensemble, Fondation Roi Baudouin.
[15] Parlement de la Communauté française, session 2019–2020, 29 novembre 2019, p.75 .
[16] Partagées notamment lors de la table-ronde autour de l‘accès au logement pour les détenus, organisée par la CAAP (concertation des associations actives en prison) dans le cadre des journées nationales de la prison, le 22/11/2019.
[17] M. BERTRAND et S. CLINAZ, Offre de services faite aux personnes détenues dans les établissements pénitentiaires de Wallonie et de Bruxelles, Analyse de la CAAP, 2013–2014,
[18] A noter que le nouveau dispositif bruxellois d’aide à la constitution de la garantie locative BRUGAL n’intervient pas pour les baux d’une durée inférieure à un an ; il est donc inaccessible pour les logements de transit notamment.