L’enjeu est de taille. Faute de logements publics en suffisance, c’est bel et bien le parc privé qui accueille une part importante de locataires précaires. Ses faiblesses sont bien connues : de trop nombreux logements sont loués cher, très cher, trop cher pour une qualité qui n’est pas à la hauteur. Pour soutenir ses locataires, les nouveaux ministres tablent sur « une logique conventionnelle et une gestion paritaire, entre bailleurs et locataires, du secteur locatif privé »[1]. Derrière cette logique conventionnelle, on retrouve des dispositifs souhaités de longue date par notre secteur : un fonds public pour les garanties locatives, une grille de référence des loyers, une commission paritaire locative et même une certification pour attester de la conformité des logements mis en location ! Plus d’un motif de satisfaction donc… mais on ne peut s’empêcher de craindre que ces dispositifs manquent leur cible. Et si les bailleurs ne jouaient pas le jeu ?
Pour faire baisser les prix des loyers, les nouveaux mandataires proposent de conventionner les propriétaires. Plus précisément, ils suivent trois pistes :
- Retravailler la grille de référence des loyers[2], grâce à une connaissance améliorée du marché locatif, nourrie par une base de données centralisée. Ce seront donc les prix du marché, avec tous leurs abus, qui constitueront la base de détermination des valeurs de référence. Avec une telle méthode, les prix ne risquent pas de redescendre.
- Offrir des avantages aux bailleurs qui proposent des loyers conformes à la grille. Le texte reste vague sur ces avantages ou « aides publiques ». S’agira-t-il des primes réno et énergie que la Région propose pour soutenir l’amélioration du bâti ? Des primes consommées dans leur toute grande majorité par des propriétaires occupants, les propriétaires bailleurs en sont beaucoup moins friands. La Région y associera-t-elle des avantages fiscaux (réduction du précompte immobilier) ? Seront-ils suffisamment alléchants pour que les propriétaires acceptent de réduire les loyers ?
- Instaurer une commission paritaire chargée d’évaluer la justesse du loyer demandé et de tenter de concilier les parties. Reste que, si le bailleur décide de ne pas respecter la grille des loyers, ni de suivre l’évaluation de la commission paritaire, rien ne l’y contraint. Pour mieux armer la future commission (et les locataires — la partie faible de la relation contractuelle), il est nécessaire de lui confier un pouvoir décisionnel[3].
Ce modèle table beaucoup sur la bonne volonté des bailleurs. Les incitants suffiront-ils à les faire adhérer au système ? Rien n’est moins sûr. D’autant qu’à côté de la carotte, aucun bâton n’est envisagé pour contraindre les bailleurs moins vertueux.
C’est au travers d’une institution publique et une gestion paritaire que le nouveau Gouvernement entend — après étude de faisabilité — centraliser et mutualiser l’ensemble des garanties locatives constituées à Bruxelles. L’accord de majorité dévoile peu des missions et services du futur fonds public. Pour qu’il constitue une aide solide et efficace pour les locataires, il faut que ce fonds soit universel, solidaire et qu’il permette une constitution progressive de la garantie locative, voire un système de cautionnement.
Différents scénarios ont déjà été étudiés, notamment à la demande de l’ancienne Ministre du Logement (poussée par le secteur associatif). Pour qu’un tel fonds, essentiel et novateur, puisse voir le jour dans les termes de la législature, sa successeuse devrait profiter de ce travail, sans repasser par la case étude.
Au niveau régional, c’est la DIRL (Direction de l’Inspection Régionale du Logement) qui est en charge de rechercher et sanctionner les propriétaires qui mettent en location des logements non conformes au Code du Logement. Un service essentiel qui souffre pourtant de sous-effectif chronique. Alors, l’engagement du nouveau Gouvernement de tripler ses moyens et évidement une excellente nouvelle.
Les missions pour les renforts ne manqueront pas. L’administration est chargée de traiter les plaintes des locataires qui vivent dans des logements insalubres, mais elle doit aussi effectuer des visites d’initiative pour traquer les bailleurs en infraction. Une fonction primordiale mais trop longtemps négligée faute de personnel. Les nouveaux effectifs devraient raviver cet exercice, mais aussi permettre de traiter plus rapidement les plaintes.
En sus, l’accord de majorité introduit l’idée du permis locatif. « Le Gouvernement établira les modalités d’une certification permettant d’attester, sur base volontaire des propriétaires, de la conformité du logement au regard du Code du Logement. » S’agit-il d’une première étape avant l’instauration d’un véritable permis locatif obligatoire ? Ou bien un retour en arrière, sur le modèle de l’ancienne attestation de conformité des logements meublés (supprimée[4] par la réforme du Code du Logement de 2013, car jugée inopérante et énergivore pour l’administration) ? L’avenir le dira.
Si nous défendons aussi l’idée d’une certification, nous estimons qu’elle doit toucher tous les propriétaires — pas uniquement les plus volontaires — et surtout ne pas se limiter à une attestation sur l’honneur du bailleur. Cette évaluation doit permettre de déterminer si le logement est conforme ou non. Si ce n’est pas le cas, celui-ci ne pourra pas être mis en location. C’est à ce prix que la Région pourra effectivement prévenir les risques liés à la mise en location de logements dangereux ou insalubres. Sans quoi, seuls les bailleurs consciencieux entameront les démarches, les autres risquent de passer à travers les mailles du filet si aucun contrôle systématique n’est envisagé.
On ne le répètera jamais assez, le marché locatif privé est terriblement tendu. Bruxelles compte 60% de locataires. Seuls 15% des logements sont théoriquement payables pour la moitié la plus pauvre d’entre-deux (les 5 premiers déciles de revenus)[5]. Un tel déséquilibre offre aujourd’hui toute latitude aux bailleurs, ils peuvent fixer arbitrairement le prix des loyers, et trouvent toujours preneurs, même si ceux-ci paraissent abusifs ou totalement déconnectés de la qualité des biens.
Les dispositifs — aussi intéressants soient-ils — de grille des loyers, de commission paritaire locative ou de certification des logements risquent de rester lettre morte si les bailleurs conservent le choix d’y adhérer ou non. Qui acceptera « spontanément » (ou en échange de modiques avantages) de baisser le loyer ? Pour le RBDH, seul un modèle contraignant pourra effectivement rendre le marché locatif privé plus accessible et plus qualitatif. Cela passe inévitablement par une grille des loyers que tous doivent respecter, par une commission paritaire locative qui a un réel pouvoir de décision et par une certification obligatoire de tous les logements proposés à la location.
C’est au travers de la fiscalité que les nouveaux élus vont jouer pour soutenir les primo acquéreurs. L’importante réforme fiscale portée par le Gouvernement Vervoort II a mené à la réduction des droits d’enregistrement (2017). Seulement, cette réduction a été rapidement absorbée par le marché, — les vendeurs ont augmenté les prix en conséquence — elle n’a pas permis d’endiguer l’envolée des prix de vente à Bruxelles, au contraire même ![6]
Difficile à ce stade de deviner quelles mesures la nouvelle équipe soutiendra. Le texte de l’accord évoque « un régime fiscal favorable » et « une révision du régime d’abattement », sans autre précision. Il est souhaitable qu’elle tienne compte des revendications du RBDH : pour que l’allègement fiscal permette effectivement aux ménages à revenus modérés d’accéder plus facilement à la propriété, il faut absolument limiter la réduction des droits d’enregistrement à un public cible, en introduisant un plafond de revenus (par exemple les plafonds de revenus pratiqués par le Fonds du Logement) et en prévoyant une réduction dégressive en fonction des revenus.
Quant aux soutiens et modes de fonctionnement des opérateurs bruxellois qui produisent du logement acquisitif (social, modéré ou moyen), on épinglera, au rang des bonnes nouvelles, la reconnaissance et l’agrément pour le Community Land Trust Bruxelles. En revanche, l’accord ne prévoit pas de mesures anti-spéculatives associées à la revente des logements produits avec d’importants soutiens publics, via Citydev notamment. Le texte évoque des réflexions autour des mécanismes d’emphytéose ou le droit de superficie pour réduire le prix d’achat des logements produits et pérenniser la maîtrise publique. Pourquoi ne pas pousser la réflexion et faire en sorte que l’impact des subsides injectés par les pouvoirs publics ne se limite pas à un ménage mais perdure sur le très long terme ?
Cette analyse est publiée à l’aide de subsides de la Région de Bruxelles-Capitale, Insertion par le logement et avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
[1] Déclaration de politique générale commune au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale et au Collège réuni de la Commission communautaire commune, législature 2019–2024, p.15
[2] Pour plus d’informations sur la grille de loyer actuelle, voyez « La grille indicative de référence testée par le RBDH », en ligne.
[3] H. LAWRIZY, A. DESWAEF et V. van der PLANCKE, « L’instauration en région de Bruxelles-Capitale d’une commission paritaire locative dotée d’un pouvoir décisionnel contraignant quant à la fixation des loyers. Étude sur la faisabilité juridique », juin 2019, p.45 « Il serait donc envisageable de créer une autorité administrative qui pourrait être saisie par un preneur qui estime payer un loyer trop élevé par rapport à la grille des loyers. En se prévalant d’un droit subjectif, il demandera à cette autorité administrative de vérifier que la législation en matière de régulation des loyers ait été effectivement respectée. Si ce n’est pas le cas et que le bailleur refuse d’obtempérer, après avoir fait valoir ses arguments, cette commission, à l’image de la DIRL, prendra une décision contraignante. »
[4] Il y a quelques années, tous les logements meublés (segment du parc particulièrement sujet au non-respect des normes élémentaires) ne pouvaient être mis en location qu’après avoir obtenu — auprès de la DIRL — une attestation de conformité. Il s’agissait d’une déclaration sur l’honneur du bailleur, sans contrôle systématique de l’administration.
[5] Observatoire des loyers, enquête 2017, Bruxelles, 2018, p. 46
[6] RBDH, Baromètre du logement 2014–2019, p.45