Les analyses du RBDH
11 min readNov 12, 2020

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Nous réclamons depuis des années des mesures politiques fortes, courageuses et pérennes pour le logement à Bruxelles. Des mesures qui protègent les locataires contre les abus du marché, des mesures qui rétablissent l’équilibre entre ceux qui occupent les logements et ceux qui les mettent en location. Le logement n’est pas un bien quelconque qui se marchande au prix fort. La crise sanitaire que nous traversons rend d’autant plus nécessaire et urgente la mise en place de politiques structurelles pour contrer les inégalités sociales qui, en temps de crise, explosent de toutes parts. Mais ces politiques ne viennent pas.

La liste d’attente du logement social n’en finit plus de s’allonger. Fin septembre 2020, Bruxelles comptait plus de 49000 ménages en attente, soit 128000 personnes, un Bruxellois sur 10 [1]. On sait qu’un tiers des Bruxellois vit sous le seuil de risque de pauvreté. D’autres indicateurs montrent à quel point la situation se détériore : entre 2008 et 2018, le nombre de bénéficiaires du revenu d’intégration a augmenté de plus de 68% [2]. Quant au cout du loyer, le dernier rapport de l’Observatoire de l’Habitat (2018) indique que la moitié des locataires bruxellois consacre en moyenne plus de 40% de ses revenus au paiement du loyer et ce sont bien entendu ceux et celles qui vivent avec de petits salaires ou des allocations qui sont les plus éprouvé.es.

Des dizaines de milliers de Bruxellois ont subi des pertes de revenus suite au confinement du printemps dernier. En avril 2020, 76000 travailleurs salariés étaient en chômage temporaire (et 46000 indépendants bénéficiaient du droit passerelle) [3]. Un triste record dont on risque à nouveau de s’approcher vu les restrictions imposées par la situation sanitaire qui continuent de mettre les travailleurs à l’arrêt. D’autres ont tous perdu. On pense notamment à toutes les personnes qui travaillent dans l’ombre et qui ne bénéficient d’aucune protection ou compensation face à une perte d’emploi. Les faillites se multiplient, c’est en tout cas les premiers constats tirés par l’IBSA, l’institut bruxellois de statistiques, qui place l’indicateur dans le rouge. Des pertes d’emploi supplémentaires, sans compter celles qui n’apparaitront pas dans les données officielles.

Les locataires du marché privé paient un lourd tribut à cette nouvelle crise. Les revenus ont fondu mais pas les loyers que les mandataires bruxellois ont choisi de garantir à tout prix. L’investissement immobilier reste une valeur sûre, même dans le contexte actuel.

Deux mesures ont été prises dans l’urgence, lors du premier confinement, pour soutenir les locataires, mais elles restent dérisoires. Une prime unique de 214€, mesure symbolique dont le montant ne saurait couvrir les pertes subies pendant plusieurs mois, ni celles à venir. Le Gouvernement aurait pu autoriser les locataires à réduire leur loyer (proportionnellement à ce qui avait été perdu) et faire contribuer solidairement les bailleurs à l’effort de crise, mais ce n’est pas l’option qui a été retenue. Autre décision : un moratoire sur les expulsions qui était un bon choix mais qui a toutefois été levé trop tôt (31 août 2020), comme si la fin du confinement strict avait signifié un retour à la normale pour tous les Bruxellois. Le 4 novembre dernier, un nouveau moratoire a été décrété jusqu’au 13 décembre au moins comme réponse au reconfinement. D’autres décisions pourraient tomber dans les prochaines semaines, le Ministre-Président ayant sollicité l’octroi de pouvoirs spéciaux auprès du Parlement.

Ces interventions, bien que nécessaires, ne suffisent pas. Le Gouvernement a un autre rôle à jouer que celui de pompier du social et du logement. Et pendant ce temps-là…

Depuis 18 mois et l’entrée en fonction du Gouvernement, la politique du logement n’a rien produit d’autre. Le 23 octobre dernier, Rudy Vervoort annonçait, devant le Parlement, le lancement du plan “d’urgence” pour le logement en 2021, qualificatif malheureux vu sa lenteur. Celui-là même qui est vanté dans l’accord de majorité et qui promet d’apporter des “solutions concrètes” à 15000 ménages en attente d’un logement social. Solutions concrètes que nous interprétons comme des logements de qualité à prix abordable… Or, on a beau lire les dernières déclarations du Ministre-Président, on a beau chercher entre les lignes, on ne voit pas ce qui a avancé depuis les élections.

Ce plan “d’urgence”, qui au fond n’est rien d’autre que le programme de majorité pour les 5 années à venir, ambitionne entre autres pour le marché privé : la création d’une commission paritaire locative et d’un fonds public de garanties locatives, une révision de la grille des loyers, de nouveaux aménagements pour l’allocation-loyer, votée sous la législature précédente mais jamais mise en œuvre, ou encore un mécanisme de certification des logements pour lutter contre l’insalubrité… Qu’en est-il aujourd’hui ?

Après les élections, la nouvelle majorité en place s’est engagée à lutter contre les loyers abusifs et à créer une commission paritaire locative pour concilier sur les loyers. Une demande portée par les associations du secteur depuis au moins 15 ans. (Et en 15 ans, le loyer moyen a augmenté de plus de 20% !).

Le marché locatif n’est pas vertueux. Le loyer est fixé par les propriétaires et cette liberté contractuelle, sans garde-fous, est source d’abus. Dans le segment modeste du parc, les montants demandés ne sont pas justifiés au regard de la qualité de ce qui est loué. L’enquête sur les loyers de 2015 l’avait confirmé. En testant, en 2019, la grille des loyers dans les quartiers centraux populaires, le RBDH avait constaté que 78% des loyers testés dépassaient les plafonds de la grille et en moyenne de près de 40% ! [4]

En 2018, la Région s’est dotée d’une grille des loyers. Même si elle a le mérite d’exister, elle présente pourtant deux défauts majeurs. D’abord, de ne pas intégrer assez d’indicateurs qui disent quelque chose de l’état du logement, ensuite d’être seulement indicative, donc inutile pour le locataire qui souhaite discuter son loyer [5]. Le patron du groupe Trevi ne disait pas autre chose lorsqu’il commentait, un an après la publication de la grille, qu’il n’avait jamais vu aucun locataire tenter de renégocier son loyer. Ni à l’amiable, ni en justice de paix non plus d’ailleurs où les locataires ne mettent pas les pieds sauf quand ils y sont assignés [6].

D’où l’urgence de mettre en place un organe intermédiaire, plus accessible que la justice pour pousser vers des loyers raisonnables qui suivent la grille, même si le pouvoir de cette commission est limité par son caractère consultatif. C’est pour nous un premier pas mais qui tarde trop à se concrétiser.

En avril 2020, alors que le Gouvernement disposait de pouvoirs spéciaux, qui permettaient des prises de décisions accélérées, la Secrétaire d’Etat au logement a déposé un avant-projet d’arrêté qui reconnaissait (enfin !) l’existence des loyers abusifs [7], en définissait les contours et proposait un mécanisme d’action en révision auprès d’une commission paritaire à instaurer. Aucun accord ne pourra cependant être trouvé au sein de la majorité. La “régulation” des loyers continue de diviser les forces politiques de droite et de gauche. La patate chaude a été renvoyée au Parlement, invité à prendre l’initiative, mais là encore les partis n’ont pas trouvé de compromis et le dossier a été mis en pause. Les discussions devraient reprendre au début de l’année prochaine mais avec quels nouveaux leviers ?

Quant à la grille des loyers, il est prévu de l’actualiser à partir des enquêtes de l’observatoire des loyers. Une révision annuelle était fixée par l’arrêté de 2017, or on attend toujours la première qui ne devrait pas intervenir avant juin 2021 [8]. Cette actualisation sans réforme de la grille va immanquablement faire grimper les loyers de référence, puisqu’elle suit les prix du marché. Il faut donc travailler en parallèle les critères de la grille, autre promesse de nos responsables politiques. Une étude est en cours avec comme scénario notamment, l’introduction de nouveaux indicateurs sur l’état du logement [9], limités pour le moment à l’année de construction et la présence de double vitrage. On est encore loin d’aboutir, ce qui n’est pas sans poser question sur l’avenir de mesures telles que l’allocation-loyer dont le calcul devrait dépendre de la grille.

On parle d’un projet porté et voté par la majorité précédente, donc annoncé dès 2014. Il était question d’élargir le nombre de bénéficiaires dans les rangs des candidats à un logement social, coincés dans le privé faute de places. L’allocation existait déjà mais ne fonctionnait pas. La réforme est votée au terme de l’année 2018 et d’après Céline Fremault, ministre du logement à ce moment-là, l’entrée en vigueur ne saurait tarder. C’était sans compter les élections régionales. Nous avions critiqué la réforme car contrairement à ce qui avait été promis, les budgets alloués à l’allocation ne permettraient pas un réel élargissement. [10]

La nouvelle majorité a convenu ”de rendre pleinement opérationnelle l’allocation-loyer en veillant à une meilleure couverture des publics visés” [11]… Donc en augmentant les moyens ? On attend le plan d’urgence pour le logement pour en tirer les premières conclusions. Les discussions budgétaires sont ficelées au niveau du Gouvernement. Le débat au Parlement est prévu ce mois. Reste que sans conventionnement des loyers, une allocation plus large risque de faire grimper les prix du marché. Un début d’explication peut-être à ce qu’une réforme votée il y a deux ans ne trouve toujours pas à s’appliquer malgré l’impératif à agir.

Autre point crucial en matière d’accès au logement : la constitution de la garantie locative. Nous défendons la création d’un fonds régional universel depuis toujours. Aujourd’hui, l’argent des garanties est immobilisé et disséminé dans les banques privées sur des dizaines de milliers de compte, alors que cet argent pourrait être mutualisé dans une institution publique et bien mieux utilisé [12]. Les banques ne tiennent pas à cet argent qui occasionne des frais de gestion importants, en témoignent les positions de certaines agences qui, en temps de crise, préfèrent se recentrer sur des activités plus rentables et refusent d’offrir le service [13]. En tant que gestionnaire des garanties, ce fonds pourrait aussi avoir son mot à dire sur les litiges en fin de bail et restaurer un peu d’équilibre et d’objectivité entre parties.

Le Gouvernement dit vouloir créer un fonds régional de ce type pour tous les logements, privés comme publics, après en avoir évalué la faisabilité. Mais l’étude a déjà été menée sous la législature précédente. Plusieurs scénarios ont été proposés. Il y a donc de la matière pour avancer maintenant. Le sujet n’est pourtant pas à l’ordre du jour.

La réforme des garanties locatives du Fonds du logement (en 2018) est positive. Avec Brugal, on dispose d’un nouveau mécanisme pour aider les plus démunis à trouver de quoi constituer la garantie. Mais les capacités du Fonds du logement sont limitées. Les locataires bruxellois représentent 60% de la population bruxelloise. Les besoins sont là.

Encore une réalité sur laquelle il y a fort à faire. Notre dernière étude montre à quel point il est difficile de faire valoir ses droits à un logement décent quand on est en situation de précarité [14]. Le confinement de mars a dévoilé la réalité intenable des Bruxellois contraints de rester enfermés dans des logements qui mettaient leur santé psychologique et physique en danger.

L’inspection régionale du logement (DIRL) n’a pas aujourd’hui les moyens pour prendre l’initiative des visites. Elle agit donc en priorité sur base des plaintes des locataires, pour lesquels la démarche constitue un risque élevé de perdre le logement. C’est encore une fois le locataire qui assume tous les risques. Notons que 99% des logements visités par la DIRL sont jugés non conformes lors du premier contrôle [15].

Les ministres affirment vouloir tripler les moyens de la DIRL — une piste pourrait être la création d’une nouvelle cellule d’enquête — et dans le cadre du plan d’urgence pour le logement, prévoir un mécanisme de certification des logements sur base volontaire. Mais là encore, il faudra attendre 2021 et l’adoption du plan d’urgence pour en savoir plus et combien de mois, voire d’années supplémentaires avant les réalisations concrètes ?

La Secrétaire d’Etat au logement, Nawal Ben Hamou, se réjouissait récemment des moyens financiers additionnels accordés à la politique du logement. Espérons que les couts de la crise sanitaire — dont on ne voit pas le bout — n’imposent pas à terme des arbitrages…

18 mois que le Gouvernement est en place et aucun début de mesure structurelle pour le logement. Certes, la période est incertaine et les mandataires politiques doivent faire face à l’urgence, mais si la crise se révèle si préoccupante pour les locataires, c’est aussi parce qu’aucune décision politique d’envergure n’a touché le marché locatif privé ces dernières années pour en freiner les excès. Le plan du Gouvernement est ambitieux sur papier, il doit l’être aussi dans les faits. Et vite.

Cette analyse est publiée à l’aide de subsides de la Région de Bruxelles-Capitale, Insertion par le logement et avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

[1] Déclaration de politique générale prononcée par Rudy Vervoort le 23 octobre 2020 au Parlement bruxellois. https://rudivervoort.brussels/wp-content/uploads/2020/10/DPG-231220.pdf

[2] Baromètre social 2019. Observatoire bruxellois de la santé et du social.
https://www.ccc-ggc.brussels/sites/default/files/documents/graphics/rapport-pauvrete/barometre-welzijnsbarometer/barometre_social_2019.pdf

[3] https://ibsa.brussels/sites/default/files/publication/documents/IBSA-Barometre-conjoncturel-FR.pdf Le chômeur temporaire perçoit 70% de sa rémunération.

[4] https://inforbdh.medium.com/la-grille-indicative-7daa696eb3bb

[5] www.lecho.be/monargent/analyse/immobilier/la-grille-des-loyers-ne-met-pas-le-proprietaire-en-cage/10111020.html

[6] Voir la dernière étude du RBDH : Bailleurs welcome ! Locataires welcome? Quand la justice peine à sanctionner l’insalubrité, 2020 http://www.rbdh-bbrow.be/IMG/pdf/rbdh_justice_de_paix_fr_2020.pdf.

A l’exception du jugement exemplaire de la justice de paix de Saint-Gilles qui a reconnu le caractère abusif d’un loyer en tenant compte de la grille et condamné le bailleur à le diminuer. https://www.socialenergie.be/fr/jurisprudence/decision-concernant-la-grille-des-loyers/

[7] L’introduction de la notion de loyer abusif dans le Code du logement (loyer supérieur au loyer maximal de la grille sans justification objective, le seuil reste à fixer) pourrait aussi être déterminante en justice de paix puisque les juges disposeraient alors d’une référence juridique pour trancher d’éventuels litiges sur le loyer.

[8] Info transmise par le cabinet de la Secrétaire d’Etat au logement, 30 octobre 2020.

[9] Commission du logement du 2 juillet 2020 : http://weblex.irisnet.be/data/crb/biq/2019-20/00118/images.pdf

[10] https://medium.com/rbdh/une-allocation-loyer-g%C3%A9n%C3%A9ralis%C3%A9e-mon-%C5%93il-143a5be4dab0

[11] http://www.parlement.brussels/wp-content/uploads/2019/07/07-20-D%C3%A9claration-gouvernementale-parlement-bruxellois-2019.pdf

[12] http://www.rbdh-bbrow.be/spip.php?article1754

[13] https://inforbdh.medium.com/garanties-locatives-derni%C3%A8res-nouvelles-%C3%A0-bruxelles-b0a75b51fd7d

[14] http://www.rbdh-bbrow.be/spip.php?article2029

[15] Commission du logement du 3 octobre 2020 : http://weblex.irisnet.be/data/crb/biq/2019-20/00006/images.pdf#page=6

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